{Broken bones always seem to mend} charlie

Les doigts de sa main gauche fermement campés sur ses feutres.  Jules s’était lancée la mission de faire des nouveaux flyers pour promouvoir son groupe de parole. Pour une fois qu’elle peut mettre son talent au service de quelque chose qui vaut vraiment le coup. Le groupe, son petit  plaisir hebdomadaire, son défouloir à défaut de pouvoir faire du sport, parler lui fait un bien fou.  Jules et son corps en vrac, il n’y a pas grand monde qui puisse comprendre ce qu’elle vit, les soins, la maladie, tout ce qui est invisible aux yeux du commun des mortels. Là-bas, ils sont tous comme elle, bousillée, rongée, chacun à leur manière, chacun ses craintes mais toujours des oreilles attentives aux plaintes des différents membres. L’œuvre achevé, Jules la tend pour la contempler, un sourire satisfait au bord des lèvres. Elle photocopie l’originale et range le tout dans une pochette avant d’enfiler sa vieille paire de converse rouge, un pull qu’elle a « emprunté » à Axl et une écharpe pour couvrir son cou.

La première étape les commerces du centre ville, elle peut y aller à pied sans trop s’épuiser, Jules passe partout, pharmacie, boulangerie, même devant l’école primaire, après tout… les parents sont les premiers à souffrir de dépression non ? Elle a le tête ailleurs ou peut-être qu’elle n’entend pas à cause de son casque qu’elle s’est vissée sur les oreilles.  En vrai, Jules ne comprend pas trop ce qu’il se passe quand ses fesses heurtent le sol, elle lâche sa pochette remplie de flyers qu’elle avait réalisé un peu plus tôt. « Outch » Jules se relève tant bien que mal, les fesses encore endolories, elle les frotte de ses mains comme si ce simple geste pouvait soulager la douleur. « Je suis désolée, je vous avais pas vu. » C’est peut-être pas de sa faute, Jules ne saurait dire, en vrai elle s’en fiche, elle s’excuse par politesse, par habitude, parce que ses parents lui ont toujours dit de le faire.



@Charlie Evans

Ta machine s'est enraillée. Et si tu veux continuer d'écrire, t'as pas l'choix, tu dois la faire réparer. Alors tu l'apportes chez le vieux M. Tom, comme tout le monde l'appelle. C'est le vieil antiquaire du centre-ville. Il tient cette boutique depuis des dizaines d'années et il se spécialise dans tout ce qui touche aux vieilles pièces mécaniques comme les horloges, les machines à écrire aussi. C'est chez lui que tu as fait l'acquisition de ton appareil et il t'avait dit que si jamais tu avais besoin d'aide pour l'entretien de celle-ci, il se ferait une joie de te prodiguer ses services.

C'est donc d'un pas décidé que tu descends la rue qui mène à son échoppe. Le trottoir est encombré et tu es obligée de zig-zaguer pour esquiver les passants qui traînent sur le chemin, ceux qui ne marchent pas assez vite à ton goût. Parce que tu tenais l'inspiration du bout des doigts, et ce serait dommage de la laisser filer alors que tu étais motiver pour avancer dans ton bouquin. Tu espères faire au plus vite et tu te répètes dans la tête les idées que tu avais pour ne pas les perdre. Mais c'est la tête ailleurs et les pensées fugaces que tu reçois tout à coup un coup dans l'épaule droite. Tu manques de laisser tomber ton bien le plus précieux, mais tu parviens à rattraper la machine pratiquement du bouts des doigts. La moutarde te monte au nez subitement, tu es prête à invectiver la personne qui a manqué de te faire perdre ton gagne pain mais en voyant la jeune femme qui se relève, le fessier douloureux, un petit air penaud et avec la politesse suffisante pour s'excuser, celle-ci retombe comme un soufflet sorti du four.
Tu t'accroupies alors pour ramasser deux trois flyers qui traînent à tes pieds mais tu ne prêtes pas encore attention à ce qu'ils indiquent. Puis tu lui tends les papiers en lui disant :

« Y a pas de mal. Ça va toi? Tiens, tes flyers... Je... » tu restes coi en voyant la publicité qu'ils affichent.

La douleur, c’est quelque chose qu’elle connaît. Une partie de son quotidien aussi loin qu’elle puisse avoir de souvenir. Jules n’est pourtant pas habituée à la douleur que provoque une chute. La sensation que provoque l’impact contre ses os, là en l’occurrence l’ischion qui se fracasse contre le pavé froid, humide. Elle s’excuse par réflexe en frottant son dernière comme si cela pouvait amoindrir la peine. Elle regarde la personne contre qui elle a buté, une jeune femme mais quand même plus âgée qu’elle. Jules s’attendait à s’en prendre plein la tronche, en vrai, elle regardait pas ce qu’elle faisait, elle était responsable de cette collision. Soulagée de ne pas avoir de remontrances, Jules en profite pour observer un peu plus son interlocutrice.  Elle semble bloquer sur l’un des flyers quand elle les lui rend. « Je les ai fait… les flyers. » qu’elle annonce pas peu fière.

Il y a tout un tas de choses que Jules ne fait pas, qu’elle ne peut pas forcément faire mais elle reconnaît quand un travail est bien fait et le sien de travail est plus que bien réalisé. Jules peut être fière d’elle et arborer un sourire satisfait. « Je… je fais partie d’un groupe de parole pour les gens qui ont besoin de parler. Bon en général, ce sont des malades… littéralement parlant. » Ils se trimbalent tous un truc bien moche, pas vraiment curable comme dans le cas de Jules. « Bref, c’est cool de parler ou juste écouter. On se sent moins seul. » Jules lui tend à son tour l’un des flyers. « Tient, je te le donne. Si jamais tu connais quelqu’un qui aurait besoin de parler. » Jules se dandine d’une jambe sur l’autre, elle ne sait pas trop quoi dire, c’est bizarre comme sensation. Elle n’est pas très à l’aise avec les interactions sociales, surtout avec une inconnue qu’elle vient de percuter. « Je m’appelle Jules au faite. » Un prénom donné, c’est comme si elles n’étaient plus étrangères.



@Charlie Evans